Le 17 janvier 2013, Laurent Ratsitohaina RAKOTOARIMANANA est parti se reposer pour l’éternité.
Toute une génération d’étudiants malgaches venus, comme lui, poursuivre leurs études en France (entre les années universitaires 1958-1976) connaît Laurent. Et ce, notamment à travers les valeurs auxquelles il était profondément attaché, et qu’il a appliquées modestement et avec persévérance, dans les actions qu’il a entreprises, aussi bien durant son séjour en France qu’une fois de retour au pays.
PETIT RAPPEL HISTORIQUE SUR LA RNS ORGANISÉE PAR L’AEOM
Le nom de Laurent RAKOTOARIMANANA ne dit rien à la plupart des Responsables de la RNS-CEN actuelle. Il est également inconnu par la grande majorité des Malgaches qui y participent.
Les gens savent que l’Association des Étudiants d’Origine Malgache (AEOM) est la première Association qui a eu le courage d’organiser pour la première fois, une grande Rencontre Sportive à l’intention de tous les Malgaches venus des quatre coins de la France et des pays périphériques comme la Suisse ou la Belgique.
Mais seuls les Membres et Responsables de l’AEOM, au niveau National et au niveau des Sections des années soixante-dix, dont un grand nombre est rentré à Madagascar, savent que c’est grâce surtout à la participation active de Laurent que la première RNS organisée par l’AEOM a pu se tenir à Toulouse, pendant les vacances de février 1975.
En fait, cette première RNS organisée par l’AEOM ne fut que l’aboutissement d’une longue et patiente éducation pour changer la mentalité qui prévalait alors chez les sportifs malgaches au sein même de l’AEOM.
Rappelons que dans les années 1960, Madagascar devint indépendant mais l’ancien colonisateur garda sa mainmise sur le pays par le truchement des Accords de coopération. L’AEOM eut à définir de nouvelles orientations, et Laurent y prit une part très active, notamment en tant que membre des comités préparatoires des activités nationales de l’Association, dont les camps de Nemours en 1965 et 1966, autour des thèmes « Intégration des intellectuels à la masse » et « Qu’exige le peuple malgache de ses intellectuels » ; puis le 13è Congrès de Montpellier-Bièvres en 1969. En raccourcissant l’histoire, après son 13è congrès historique de 1969 de Montpellier-Bièvres, l’AEOM a fait un grand bond en avant.
En 1970, toutes les activités de l’AEOM ont retrouvé leurs vitesses de croisières. Les différentes sections, dont celle de Paris, ont éprouvé le besoin de mettre ou de remettre sur pied, selon le cas, des activités sportives. Selon les points de vue de l’AEOM, les activités sportives font partie de l’éducation corporelle, physique et mentale, nécessaire à tout un chacun, et particulièrement à la jeunesse. « Un esprit sain dans un corps sain », dit-on. En outre, permettre aux étudiants malgaches qui se trouvent loin de leur famille, hébergeant souvent dans des chambres de bonne, ou chez l’habitant, ou en cité pour étudiant, de briser leur isolement et leur solitude, de retrouver des amis ou simplement de faire du sport avec des compatriotes, fait partie des activités syndicales de l’AEOM. A Paris, en particulier, la Section a mis en place le foot, le volley, et le basket. Avec une troisième mi-temps où, à tour de rôle, les participants s’engagent à préparer un repas que l’on partage volontiers dans une atmosphère amicale et conviviale.
Le Sport de Masse respectueux de tous n’empêche en aucun cas les compétitions de haut niveau
Laurent faisait du foot. Une discipline qu’il appréciait car c’est un sport d’équipe, où chacun a sa place, et où personne ne doit faire du jeu personnel ou de l’héroïsme individuel pour faire gagner son équipe. C’est en constatant le comportement de certains joueurs qui veulent gagner à tout prix, en faisant n’importe quoi, quitte à faire des tacles dangereux, que Laurent, avec ceux qui avaient les mêmes convictions que lui concernant l’esprit avec lequel on aborde et pratique le sport, a impulsé l’esprit du sport de masse, dit aussi sport pour tous. Un esprit rassembleur, respectueux de la personne et de son intégrité ; un esprit qui donne à ceux qui sont encore maladroits la possibilité de progresser au lieu de rester sur la touche. Cela ne veut cependant pas dire que les joueurs de haut niveau vont régresser ! Ceux qui ont de très bonnes compétences techniques continuent d’entretenir et d’améliorer toujours davantage leurs performances ; attentifs aux moins avancés, et désireux de les faire progresser, ces sportifs de haut niveau partagent volontiers et sans condescendance avec eux leurs savoir-faire. En réalité, le sport de masse bien compris permet à ceux qui aiment le sport de devenir de véritables sportifs, dans le sens le plus noble du terme : c’est-à-dire compétents, mais surtout animés d’un bon esprit. Les générations successives au sein de l’AEOM (responsables et simples membres) convaincus de la justesse de l’esprit du sport de masse par leurs propres expériences, ont essayé de le perpétuer.
« Firahalahiana aloha vao Fifaninanana » ou « Amitiés d’abord, compétition après ! » Tel est le mot d’ordre qui résume l’esprit et la philosophie du sport de masse. L’on s’applique à mieux se connaître et à s’aider mutuellement pour que chacun puisse faire toujours mieux et pour que l’on puisse se faire confiance les uns les autres, sans craindre les coups, ou blessures, venus intentionnellement du camp opposé. Ce n’est que dans une ambiance sereine qu’il est possible à chacun de développer pleinement et faire évoluer sa compétence. Et ne peuvent être estimés comme les meilleurs que les joueurs compétents qui respectent avant tout les autres et cultivent d’abord l’amitié et la fraternité et non ceux qui se croient être les meilleurs mais n’hésitent pas à tout faire pour gagner à tout prix, quitte à blesser moralement ou physiquement les autres, et à provoquer des bagarres lorsque leur équipe est battue sur le terrain.
Il est à noter que parallèlement, les différentes sections de l’AEOM, dont la section de Paris, pratiquaient des rencontres ou des tournois sportifs dénommés TOURNOI DE L’AMITIÉ ENTRE LES PEUPLES (TAP) avec d’autres organisations d’étudiants originaires d’autres pays, dites Organisations Sœurs, avec le même esprit résumé par « AMITIÉ D’ABORD, COMPETITION APRÈS »
La première RNS organisée par l’AEOM à Toulouse, un pari dont l’enjeu valait d’être risqué.
Comme nous l’avons dit plus haut, la première RNS organisée par l’AEOM, pendant les vacances de février en 1975, à Toulouse fut l’aboutissement, d’une longue et patiente éducation pour changer la mentalité de certains sportifs malgaches dans les débuts des années soixante–dix, en impulsant l’esprit du sport de masse, au sein de l’AEOM même : dans la section de Paris d’abord, puis dans d’autres sections, lors des échanges d’expériences ou rencontre entre deux ou trois sections d’une même région appelées alors rencontre régionale. Enfin une Rencontre Sportive, au niveau de « toute la France » et des pays voisins a été décidé lors du conseil d’administration de l’AEOM en 1974 ; d’où la Rencontre « Nationale » (puisque sous la responsabilité du Bureau National ou Bureau Central de l’AEOM) Sportive, à Toulouse en février 1975 .
Malgré les difficultés et l’envergure des tâches qu’exige, d’une petite organisation comme l’AEOM, la réalisation d’une telle Rencontre, malgré le peu de moyens financiers dont elle dispose, Laurent a su insuffler et transmettre, au niveau de l’Association, l’importance d’une telle activité, au service de tous nos compatriotes. En ce temps-là, le Milieu Malgaches en France, était surtout constitué d’Étudiants. Si loin du pays et de leurs familles, isolés parfois ! Retrouver des amis que l’on n’a pas vus depuis un certain temps, faire des rencontres sportives avec ses compatriotes même si on en pratique déjà ailleurs, se replonger dans une ambiance bien malgache pour se ressourcer ! Rien de plus légitime ! De plus, une telle rencontre ne ferait que renforcer la compréhension mutuelle, l’amitié et l’unité entre tous les Malgaches.
Non seulement, Laurent a su persuader et motiver l’organe de décision de l’Association, mais, comme tous les membres, il s’est également investi, dans les commissions préparatoires pour aider le Bureau Central, ainsi que la Section de Toulouse, hôte de la première RNS, tant au niveau des préparatifs qu’au niveau de l’organisation générale.
Résultats .
Après cette première RNS, qui fut dans l’ensemble positive, l’AEOM en organisa onze autres entre 1976 et 1994. Chaque RNS durait 5 à 7 jours, selon les années.
S’il est vrai que l’esprit « amitié d’abord, compétition après » apparaissait très utopique et même rebutait certains, avec le temps et l’expérience, de plus en plus de gens ont compris la justesse du mot d’ordre et se le sont approprié. La RNS organisée par l’AEOM est devenue au fil du temps une véritable « institution » attendue avec beaucoup d’intérêt par la Communauté malgache. Le sport malagasy s’est développé. Les niveaux se sont perfectionnés davantage. L’ambiance toujours saine et amicale aussi bien au cours des matchs que dans la vie quotidienne, où tout le monde participe sans rechigner à l’entretien des locaux et à la propreté de l’environnement. Avec le nombre de participants qui progressait chaque fois, toutes les générations qui se sont succédées au sein de l’AEOM ont toujours essayé de tirer des leçons pour améliorer toujours et trouver les solutions adéquates à tous les niveaux pour satisfaire les attentes de nos compatriotes. Et le fait d’assumer des responsabilités leur sert d’expériences sur le terrain qui s’avèrent très enrichissantes pour l’avenir.
D’autres RNS ont pris la relève.
En 1994, le calendrier des vacances a changé. Il était difficile de trouver une semaine de vacances communes à toutes les académies. La XIIè RNS, organisée par l’AEOM, a été malgré tout tenue, à la demande d’un grand nombre de gens qui disaient regretter les RNS qu’ils avaient connues avec l’AEOM ou dont ils ont entendu parler par leurs parents.
Aujourd’hui, la RNS- CEN a pris en main le flambeau. Puisse l’héritage transmis par les anciens, à savoir : l’esprit de « l’amitié d’abord compétition après » être conservé précieusement.
QUI ÉTAIT LAURENT RAKOTOARIMANA
Question pertinente! Aussi, va-t-il de soi d’y répondre très simplement et succinctement.
Né le 8 septembre 1937, Laurent est le deuxième enfant d’une fratrie de huit (cinq garçons et trois filles) de Dr Denis RAKOTOARIMANANA et de Dr Beby Razanamihanta Marie SALOMON, l’une des deux premières femmes médecins (l’autre étant Dr RALIVAO-RAMIARAMANANA), sorties de Befelatànana.
Comme tout parent aimant, les parents de Laurent ont inculqué à leurs enfants l’Amour avec un grand A (amour entre Fratries, amour du prochain, amour de la Patrie, amour de son Peuple, amour de la Droiture, de l’honnêteté, de la Vérité et de la Justice) ; le Respect des Aïeux, le Respect de l’autre ; la Solidarité.
Après les études secondaires au Lycée Galliéni d’Antananarivo, puis propédeutiques, Laurent a obtenu, après le Bac série Sciences Expérimentales, le Certificat d’Études Littéraires Générale (CELG) en 1958. La même année, il partit pour la France, à Paris, poursuivre ses études.
« Ny rivotra hono faritin’ny heriny, fa ny olona kosa faritin’ny toetrany » (Le vent dit-on est défini par sa force, mais l’homme est défini par sa façon d’être).
A ce sujet, on peut souligner quelques traits caractéristiques de Laurent : . Il a su rester simple, modeste, très proche des gens, plein d’égard et de respect envers chaque personne, quel que soit l’âge, quelle que soit la situation économique et sociale de celle-ci. . Il savait écouter les gens, même ceux qui avaient des opinions différentes des siennes. Il restait toujours calme et attentif. . Un bon pédagogue : pas dogmatique mais très concret ; calme et patient. Pour se faire comprendre, il faisait des références ou des transpositions dans la vie de tous les jours, en prenant des exemples parmi les centres d’intérêts de son interlocuteur. . Il avait l’art de faire découvrir à une personne les richesses que celle-ci avait en elle ; ce qui lui donnait plus de confiance en soi et l’envie d’apprendre et d’avancer toujours plus. . Laurent est quelqu’un qui a entièrement respecté les structures organisationnelles, quelle que fût la place qu’il occupait, au sein d’une organisation, en tant que dirigeant ou simple membre de base. . C’est une personne humble ; il n’a jamais cherché ni les honneurs ni la gloire. . « Lier la parole à l’acte et agir en conscience » ; « savoir s’adapter à chaque condition sans compromettre ses idéaux ». Ce sont là de précieux enseignements parmi d’autres qu’on peut retenir de Laurent et que l’on peut mettre en pratique.
Les engagements de Laurent :
Laurent fait partie de ces intellectuels qui ont choisi de servir réellement les intérêts de leurs peuples. Il fut convaincu que les intellectuels des pays comme Madagascar, notamment ceux qui ont eu le privilège de poursuivre leurs études à l’extérieur ont un devoir envers leur Peuple. Il s’appliquait à faire prendre conscience aux étudiants comme lui, du rôle des intellectuels, et de la nécessité, dès leur séjour à l’étranger, de s’y préparer. Aussi, Laurent a-t-il lui-même mis à profit son séjour en France, pour acquérir non seulement des formations universitaires, mais aussi, d’autres formations extra-universitaires dans différents domaines.
Dans le cadre des études Universitaires il a obtenu la Licence libre de Lettres ; le Diplôme d’Études Supérieures (DES) de Philosophie ; la Licence de Psychologie ; la Licence de sociologie. Ses Études Post-Graduate : de 1972 à 1974 au Centre d’Étude sur la Planification de l’École Pratique des Hautes Études (E.P.H.E) Sorbonne Paris et de 1974 à 1976 au Centre d’Études sur les Modes d’Industrialisation de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (E.H.E.S.S.) Paris avec obtention du passage en 2è année de Doctorat de 3è cycle. En 1976, de retour au pays pour des recherches et de documentation, Laurent n’a pu sortir de Madagascar que plus de vingt ans après.
Au niveau de la Communauté Malgache en France, on l’a connu dans les débuts des années soixante, comme pionnier du club ORIMBATO, une organisation des jeunes de l’Eglise Protestante Malgache de Paris (Fikambanan’ny Tanora Orimbato) où se regroupaient des jeunes de l’Eglise Protestante Malgache de Paris, mais aussi des jeunes Malgaches de toutes les confessions, de toutes les conditions, et de toutes les sensibilités. Grâce à des activités diverses (travaux manuels, discussions, informations sur l’histoire de Madagascar, ciné-club, chants, chorale, danses folkloriques, ohabolana, haiteny etc.) les jeunes prenaient des responsabilités, s’organisaient méthodiquement, et prenaient peu à peu conscience du rôle que peut jouer la jeunesse dans le développement de notre pays.
Laurent est également connu pour ses activités militantes au sein de l’AEOM, où non seulement, il a joué un rôle important dans les différentes analyses, orientations et écritures des rapports de différentes instances, mais aussi dans les activités destinées à l’ensemble de nos compatriotes, comme les Festivals Culturels, les camps « Tsimialonjafy », etc.. Il a partagé volontiers son savoir-faire et ses compétences avec ceux qui ont travaillé avec lui.
Rentré au pays, Laurent est resté ferme dans ses convictions et ses options fondamentales. La place ne nous permet pas de nous étendre sur ses activités et sur ses œuvres reconnus au niveau national et international. On peut seulement dire que, pour lui, l’amour de son pays et de son peuple n’est pas des mots en l’air ; il l’a vécu profondément et s’est donné à fond pour le mettre en acte, en toute humilité, notamment dans le domaine du développement et de la lutte contre la pauvreté.
Raivo ANDRIAMBOAVONJY
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