Hommage à Désiré Razafindrazaka

Publié par Olivier Andriamasilalao

Désiré Razafindrazaka incarnait l’engagement, épousant plusieurs rôles avec passion, une figure devenue incontournable pour tous. C’est un homme aux multiples casquettes, mais demeuré simple, qui est mort à l’âge de 59 ans. Une grande perte pour ses pairs et pour le monde de la culture et du jazz.

La disparition d’une figure au parcours inégalé

On le connaissait féru de jazz, passionné par la culture et le patrimoine malgaches. Commandeur de l’Ordre des arts, de la culture et des lettres, membre associé de l’Académie malgache, président de l’Association des Amis du patrimoine. Communicateur né, chef d’entreprise, Désiré Razafindrazaka était psychosociologue de formation, titulaire d’un double DESS de psychologie sociale et de formation pour adultes. Il débute sa carrière professionnelle en 1986, dans la région Est de la France, à Longwy, où pendant 10 ans, il se consacre à la formation des adultes en reconversion professionnelle, pour terminer sa carrière en France en tant que responsable du Fonds Local Emploi et Solidarité de Paris.

L’appel du pays est plus fort, il retourne à Madagascar en 1997.

 

 Après un bref passage au sein de l’UNICEF en tant que consultant, Il fonde le cabinet d’études et de conseil COEF Ressources, en 2000. Il fera des ressources humaines et de l’évaluation de projets de développement, sa spécialité, son cabinet va alors se tailler une solide réputation, devenant une référence dans le milieu de la consultance. Outre des projets à Madagascar, le cabinet représente l’Afrobaromètre, une étude régulière réalisée par un réseau de recherche panafricain qui réalise des sondages d’opinion sur la gouvernance, la démocratie et les conditions économiques en Afrique ou encore l’ONG AOI (Aide Odontologique Internationale), un organisme de développement européen qui intervient à Madagascar en appui au ministère de la santé publique.

Tout au long de son parcours, il complète sa formation initiale, en France à Nancy, d’abord à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) où il obtient un DESS « CAAE » Certificat d’Aptitude à l’administration des entreprises, un diplôme de 3e cycle. Ne laissant rien au hasard, passionné d’histoire et de culture, Désiré Razafindrazaka s’inscrit également à l’INALCO Langues O à Paris et décroche un DEA « Langues, Littératures et Sociétés ». Il présentera ensuite ses travaux de recherche sur l’histoire de son grand-père maternel, Stanislas Rakotonirina, militant nationaliste lors des événements de mars 1947 et premier magistrat élu à la tête de la ville d’Antananarivo. En 2017, lors de la commémoration des 70 ans des événements de 1947, animé par un devoir de mémoire, c’est devant l’Académie malgache qu’il porte témoignage de l’action politique de son grand-père.

Plus tard, des formations professionnelles viendront compléter son parcours académique et renforcer le rayonnement de son cabinet. Aux États-Unis, une formation sur la démocratie, au Bénin, sur les méthodes d’analyse et de recherche sur la gouvernance, la démocratie et les conditions de vie des ménages.

 Formateur en management et communication, Désiré Razafindrazaka enseignera également en Master 2 pour la MISA (Mathématiques, Informatique et Statistiques Appliquées) à la faculté des Sciences d’Antananarivo, mais aussi la sociologie politique à l’Institut d’Études Politiques (IEP) à Madagascar.

En 2011, ce n’est donc pas une surprise lorsque le personnage public qu’est devenu Désiré Razafindrazaka est élu « Malgache de l’année ». C’est un homme hyperactif, une figure passionnée, un parcours inégalé que récompense « L’Express de Madagascar ». Un homme qui, étonnamment, ne se prenait pas au sérieux tout en faisant les choses avec sérieux.

 

Le jazz, une passion dans tous ses états

La première fois que j’ai croisé Désiré Razafindrazaka, ce fut en 1995, mon article venait de paraître dans la rubrique « Pour ceux qui aiment le jazz » du magazine « Madagascar Infos ».

Il s’agissait d’un entretien que m’avaient accordé Nivo et Serge Rahoerson, des pointures du jazz de la scène musicale malgache, qui évoluaient à Paris. Dezy, comblé par le contenu de l’entretien me fit part de ses remarques très positives « [l’entretien] fait vraiment découvrir le jazz et les artistes malgaches, musiciens de jazz”, m’avait-il confié.

Ce fut le début d’une riche amitié, nous partagions nos découvertes musicales, nous étions tous deux passionnés de jazz, nous avions aussi des goûts musicaux éclectiques. Quelques années plus tard, il prit la direction du Festival Madajazzcar.

Féru d’histoire du jazz, sa contribution dans ce magazine -disparu depuis- fut un travail de recherche fort intéressant. Il a écrit une biographie sur Andy Razaf, poète, compositeur et musicien, né d’un père malgache et d’une mère d’origine américaine et fille du premier consul noir-américain à Madagascar. Au début du 20e siècle, après la mort de son père, alors qu’il était enfant, sa mère retourna aux USA et Andy Razaf, y resta à l’âge adulte.

Pour Andy Razaf, c’est le début d’une collaboration fructueuse avec Fats Waller qui donnera naissance à de nombreux standards, The Joint Is Jumpin’, Ain’t Misbehavin’, Honeysuckle Rose, Willow Tree, Keepin’ Out of Mischief Now, et What Did I Do to Be So Black and Blue. De grandes pointures du jazz joueront sa musique : Benny Goodman, Eubie Blake et Cab Calloway.

Le festival Madajazzcar, un tournant

C’est en 2001 que Désiré Razafindrazaka prend les rênes du “Festival international Madajazzcar” dénomination choisie sous sa direction sous l’inspiration de la composition du pianiste Arly Rajaobelina et du clarinettiste Arnaud Razafy, alors que le jazz reste très confidentiel, malgré ses débuts en 1989 sous les auspices du festival “Jazz à Tana”, puis “Jazz à Mada”.

En 2010, Madajazzcar obtient le label « DjangodOr-Trophées internationaux du jazz » qui lui permettra de faire partie des festivals de jazz reconnus en Afrique. En 2014, sa reconnaissance par l’institution lui vaut d’être élu « Évènement culturel phare » par le ministre de l’artisanat, de la culture et du patrimoine.

La crise et le festival

Lorsque se déroule le festival 2020, du 1er au 4 octobre, Madajazzcar joue sa 31e édition. Contrairement aux précédentes éditions, d’une durée de quinze jours, 2020 ne verra pas la participation d’artistes internationaux.  « Nous allons nous focaliser sur les artistes locaux et proposerons même des activités hors de la capitale », déclare alors Désiré Razafindrazaka. “Notre objectif est de faire en sorte que ce festival serve de bouffée d’oxygène aux mélomanes qui sont privés de spectacles durant ces plusieurs mois de confinement », conclut-il.

Salut l’artiste

Tous lui ont rendu un hommage poignant sur les réseaux sociaux : artistes, musiciens de jazz, et chanteurs, à l’instar de Fanja Andriamantena, Samy Andriamanoro, Zara Rajaonarison, Datita Rabeson, pour ne citer qu’eux, ainsi que les héritiers issus de la nouvelle génération que Désiré avait prise sous ses ailes comme le pianiste Njaka Rakotonirainy. Ses pairs saluent son charisme, le décrivent comme un homme chaleureux avec tous ceux qui ont partagé sa route. Une personnalité attachante, généreuse, réputée fédératrice et proche de la famille des musiciens malgaches à Madagascar, à qui il sut donner ses lettres de noblesse, à travers les décennies de concerts de Madajazzcar.

C’est sans lui et avec tristesse que sera célébré le « Jazzy Day » le 30 avril prochain. Tout comme l’édition Madajazzcar 2021 également orpheline. Gageons que l’héritage laissé par Désiré Razafindrazaka sera à la hauteur pour lui faire honneur et perpétuer la mémoire de la figure passionnée qu’il fut.

La transmission de la passion du jazz de père en fils

Mais la plus grande fierté de Désiré Razafindrazaka fut sans doute ailleurs, lui qui avait à cœur de préparer la relève. Son fils Andy était de toutes les sorties, accompagnant son père pour jouer de la batterie tandis que le premier jouait de la basse et de la contrebasse.

Désiré Razafindrazaka et la RNS

Nous sommes nombreux à la RNS à avoir eu le privilège de le côtoyer.

Liva Ramanana-Rahary, président d’honneur du CEN de la RNS, témoigne : « ‘c’est un ami qui s’en est allé, trop soudainement, trop tôt. Un de ceux qui vous entourait les épaules de ses bras, même après des décennies sans se voir. Toujours aussi simple et avenant alors qu’il était devenu une personnalité de référence de la culture, du patrimoine, du management et des ressources humaines à Madagascar. Entre autres.

Au milieu des années 1980, nous écumions les bars et restaurants de Nancy pour arrondir nos fins de mois d’étudiants avec la musique. Déjà très débrouillard, il décrochait des contrats improbables. Lui a choisi de rentrer après ses études et après une expérience professionnelle acquise en France.

Ces derniers temps, il partageait ses inquiétudes pour sa prise de position en faveur du patrimoine et contre le colisée. Il avait mis ses convictions de président de l’Association des amis du Patrimoine et de petit-fils du premier maire d’Antananarivo, avant ses appréhensions pour sa sécurité. » Trop de réunions, trop de contacts à risque qui lui ont été fatals.

Désiré Razafindrazaka fut présent à la chaîne de la solidarité en live de la RNS. Puis, en tant que président du comité d’organisation du festival Madajazzcar et ancien collaborateur de la revue française Jazz Hot, il tînt ensuite à participer au Vendredi jazzy du RNS Live Challenge, toujours dans l’esprit de relier les talents du jazz malgache du monde.

C’est un homme de valeur, un personnage exemplaire pour les taranaka que perd Madagascar. Par ses engagements pour la sauvegarde du patrimoine, le développement et la démocratisation du jazz, sa contribution au rayonnement des musiciens et artistes malgaches dans le monde, ses interventions dans les domaines socio-économiques et culturels, la plus haute distinction honorifique devrait lui être décernée à titre posthume, par le ministère de l’artisanat, de la culture et du patrimoine et par l’État malgache.

Adieu l’ami. Nous n’oublierons pas ton humour taquin et tes fameux jeux de mots.

À Dieu.

Nous présentons nos plus sincères condoléances à toute sa famille,

À Léa, Andy, Léo et Nancy.

          Mbola Andrianarijaona

         Membre du Comité d’éthique du Comité Exécutif National de la RNS

         Membre du Comité National d’Organisation de la RNS

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